LA BIOTENSÉGRITÉ

Le but de cet article n’est pas de faire un exposé complet sur la biotenségrité mais de vous signaler qu’il y a là un point de vue fort intéressant qui peut nous interpeller sur la façon de percevoir notre corps et donc d’aborder et de réaliser nos postures. A chacun de cheminer ensuite et de vérifier tout cela dans sa vie quotidienne; le yoga est avant tout une pratique, à la fois physique, mentale et spirituelle.

Sommes nous construits en empilement ?

schéma d’une voûte romane

Sommes nous construits en déploiement?

une œuvre de Kenneth Snelson

Comment le ressentons nous dans notre vie courante et dans nos postures ? Si nous pratiquons depuis longtemps est ce que quelque chose a changé en rapport avec cela ? Y-a-t-il des différences en fonction des circonstances ? Lesquelles? alimentaires, météorologiques, psychiques, physiques, environnement, âge ?

œuvre de Snelson

Il est tentant de dire les deux avec un pôle d’empilement en cas de fatigue et de mal-être quelque soit son origine (qu’il est tout de même utile de cerner!) et un pôle de déploiement quand tout va bien, et encore plus de déploiement quand tout va encore mieux. Tout se passe comme si la nature, très prudemment, utilisait les deux modèles. Le premier bien visible dans la grosseur croissante des corps vertébraux de haut en bas, dans le positionnement du sacrum comme une clef de voûte entre les deux os iliaques le tout en appui sur le sol grâce aux membres inférieurs.

Le deuxième lui aussi bien visible dans la construction même du pied qui est une voûte élastique sur trois points d’appui. Surtout le système musculaire, en particulier paravertébral qui, se contractant de façon excentrique, permet l’autograndissement de la colonne. Dans le premier cas on se sent tassé, les socles sont posés les uns sur les autres, celui du haut « s’appuyant » sur celui du bas .

Dans le deuxième nous sommes légers, les socles rebondissent les uns sur les autres, il y a de l’espace disponible. Probablement avec les années de pratique on passe du premier modèle au deuxième de plus en plus souvent jusqu’à se sentir léger en permanence au mieux? Mais la magie de la pratique est là: le processus en cours est sans fin, chaque jour amène un nouvel allègement ou, à l ‘image d’un rabot de luthier, enlève un fin copeau qui permet à l’instrument de sonner encore mieux.

La tenségrité est une notion relativement récente, introduite dans la deuxième moitié du 20° siècle, par des architecte (Buckminster Fuller et David Emmerich) et un sculpteur (Kenneth Snelson). Il s ‘agit donc au départ d’un concept architectural , une nouvelle façon de construire un volume stable sans empilement. Pour pouvoir ce faire on doit arriver à un équilibre entre des forces d’expansion et des forces de compression.

L’idée novatrice est que les parties solides qui sont en compression ne se touchent pas mais qu’elles sont reliées par un réseau de câbles en tension. Donc les câbles poussent sur les extrémités des tiges. On obtient ainsi un volume stable, insensible à la gravité (bien que soumis à elle, comment y échapper?) car non modifié par son placement dans l ‘espace.

icosahèdre habillé en hochet d ‘enfant

Ces structures tensègres ont un certain nombre de caractéristiques communes:

  • elles sont légères, de faible poids
  • elles peuvent changer de forme avec un minimum d’effort et revenir facilement à la forme de départ
  • chaque composant étant en relation avec tous les autres, les contraintes sont réparties dans l’ensemble de la structure en permanence; il ne s ‘agit pas d’une juxtaposition d’éléments mais d’une équipe d’éléments
  • le volume n’est pas déformable par un changement de positionnement dans l ‘espace.

Fuller, l’architecte, est surtout connu pour ses dômes géodésiques dont celui de l’exposition universelle de Montréal. La forme géométrique qui lui correspond le mieux est donc l’icosaèdre, qui s’approche au mieux de la sphère donc contient un volume maximum pour une surface minimum.

Snelson, l’artiste, est surtout connu pour ses innombrables « sculptures tensègres » d’une rare élégance.

Peut-être cela en serait-il resté là sans un biologiste Mr Levin qui, réfléchissant sur l ‘impossibilité d’expliquer par la mécanique classique le fait que le cou des dinosaures ne s’affalait pas au sol malgré un déport très important, aperçut la tour de Snelson et fit le rapprochement entre les deux phénomènes: la nature semblait donc utiliser la tenségrité dans la vie courante!!!

C’est le « Eureka » de Levin!!!! La nature a choisi ce type d’agencement pour réaliser les formes vivantes, des virus au squelette animal. Ce modèle rend beaucoup mieux compte de faits difficiles à expliquer autrement, donc à l’heure actuelle c’est le plus performant aussi bien en biologie cellulaire (pour expliquer en particulier la relation entre structure et métabolisme) qu’en biologie animale. Depuis peu la reconnaissance des fascias en tant que tissus vivants et non simple support s’intègre bien avec ces concepts et contribue à renouveler notre façon d’aborder le fonctionnement corporel dans une optique beaucoup plus globale.

Pour aller plus loin dans la compréhension de ce concept je vous renvoie au très bon livre de Graham Scarr « la Biotenségrité » aux éditions Sully.

Biotenségrité et Yoga

Nous pouvons alors revenir vers notre pratique posturale de Yoga et voir si tout cela nous parle. Le regard porté sur un objet influence la façon dont on s’en sert. Percevoir notre corps comme un volume en tenségrité nous invite à une danse légère et fluide, évoluant avec facilité et élégance. On sent comme un allègement; un poids, une « rigidité » nous quitte aussitôt. Nos tissus « mous » (chaînes myo-fasciales et peau) représentent les câbles des sculptures, porteurs des forces d’expansion tandis que nos os sont les parties solides et disjointes porteuses des forces de compression; l’ensemble formant notre volume bien sûr mais aussi notre ambiance, notre coloration mentale, notre capacité à accepter d’être porté donc à lâcher prise.

Tout se passe comme si nos os « flottaient » dans nos tissus mous alors qu’auparavant nous avions tendance à penser nos tissus mous accrochés à nos os eux mêmes appuyés sur le sol. L’écoute très attentive nous permet alors de mettre à jour peu à peu des mobilités insoupçonnées, des jeux entre tissus mous et os ouvrant de nouveaux dialogues sources de nouveaux points d ‘appui…

Pour nous, de plus, sculpture vivante, il y a un autre élément fondamental qui entre en jeu bien sûr: le Souffle. On ne peut vivre ou parler posture sans ce phénomène étrange du souffle qui nous habite et nous anime en permanence en s’inscrivant avec beaucoup de légèreté dans ce volume mouvant et émouvant.

Deux images peuvent alors nous aider qui ont à voir avec la tenségrité: le ballon et la roue de bicyclette. Un ballon d’enfant gonflé à l’hélium est une structure très légère où s’équilibrent des forces d’expansion (l’air insufflé dans le ballon) et de compression (l’enveloppe élastique) si on modélise l’inspiration. Si on modélise l’expiration (l’air quitte le ballon mais de façon freinée par le goulot d’étranglement de sortie) c’est ici l’air qui est la force en compression et l’enveloppe porte la force en « rétraction ». L’expiration est d’ailleurs un phénomène essentiellement passif dont le moteur est la rétraction du tissu pulmonaire dans la respiration involontaire et inconsciente.

Pour nous cela souligne l’intérêt des sensations de peau qu’il faut éveiller au maximum car elles sont un indicateur précieux et précis surtout lors du déploiement. La roue de bicyclette nous permet aussi quelques réflexions: la force qui est appliquée sur le moyeu est, grâce aux rayons régulièrement répartis sur la jante, tout de suite répartie sur l ‘ensemble de la jante et le pneu et non pas seulement sur la partie en contact avec le sol. De même la force du souffle est répartie dans toutes les directions jusqu’à notre peau dans l’idéal et là aussi d’importantes informations concernant notre posture et les tensions existantes nous sont données.

Volume tensègre

Dans un volume tensègre chaque point de contact entre une corde et un élément solide est en réalité un contre appui. Cela pourrait passer inaperçu si l on ne fait pas un organigramme des vecteurs de force en présence; mais à chaque point, des forces s’équilibrent que l’on peut représenter par des vecteurs, l’immobilité apparente traduit simplement l’équilibre des forces en présence et le moindre déséquilibre va entraîner une modification visible de toute la structure car il est tout de suite réparti sur l’ensemble si celui-ci est suffisamment élastique et mobilisable. Bien sûr si notre mobile n’a pas été fait en inox et a séjourné longtemps sous la pluie, les transmissions à l’intérieur de la structure seront un peu entravées voir annulées de même si notre corps est trop peu fluide.

Tout cela ne manque pas de nous ramener à nos postures. Nous avons tous les points de contact entre chaînes myo fasciales et os qui, de façon structurelle, déterminent en quelque sorte notre volume et nos possibilités de mouvement sans oublier l’importance du mouvement du souffle et de la coloration de notre mental qui sont deux facteurs de réglage de l’intensité des vecteurs de force en présence.

De façon conjoncturelle chaque fois qu’une posture nous offre la possibilité de créer un nouveau point d ‘appui (par exemple entre un pied et une main comme dans une pince ou un avant bras et une jambe comme dans un triangle) il importe de s’en servir, de l’explorer et d’en ressentir tous les prolongements en essayant de les faire vivre au mieux donc de répartir toute l’énergie jaillie de ce point dans toute la posture ce qui dépendra avant tout de notre lâcher prise des tensions inutiles qui limitent parfois beaucoup nos dynamismes.

L’utilisation abondante des contre appuis qu’ils soient réels (donc contact physique) ou imaginaire (pousser contre une résistance virtuelle) est très intéressante pour dynamiser notre structure posturale. Peu à peu notre vie courante va devenir de plus en plus légère.

Voila donc quelques réflexions sur ce passionnant sujet, n’hésitez pas à nous faire part de vos réactions, à partager vos expériences et ressentis.

  1. riegert martine

    Merci Nicolas lecture très intéressante sur la biotensigrité appliquée à notre charpente et nos haubans d’élévation et de soutiens et comment amener dans nos postures de yoga la répartition de la bonne tension donnant résistance et densité dans la légéreté à notre édifice par le jeu des contres appui .cela permet en plus de mieux vivre la posture dans son ressenti. pour moi j ai ressenti en 1er cet ajustement d’édifice dans le chien tête en bas
    bien amicalement

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